Depuis le 19 juillet (et même avant), on ne parle que d’eux, on ne voit qu’eux !
Qui ?
Je parle bien sûr des inévitables Barbie et Oppenheimer, deux films, deux personnages en apparence diamétralement antithétiques mais que le hasard du calendrier a fait se rencontrer au cœur de l'été.
Cette situation inédite (due en partie au rattrapage des blockbusters après l'arrêt des productions cinématographiques consécutif aux mesures sanitaires) a nourri l'imagination de beaucoup de fans.
Si ce blog n'est pas destiné à faire de la critique cinéma, il est en revanche intéressant d'étudier, d'un point de vue strictement professionnel, ce que Barbie et Oppenheimer signifient en tant que personas professionnels ou Candidate Persona, c’est-à-dire que représentation fictionnelle d'un candidat pour un poste spécifique ?
Spoiler alert : cet article contient des éléments propres à l’intrigue des deux films !
Le personnage de Barbie est beaucoup plus riche et complexe que l’on pourrait l’imaginer, bien que tiré d’une “simple” poupée en plastique.
Analysons ses caractéristiques pour deviner le poste qu’elle pourrait occuper dans une organisation.
Le personnage incarné par Margot Robbie est, de fait, la véritable leader de Barbieland en tant que Barbie originelle (elle se surnomme elle-même la “Barbie stéréotypée”).
Même si elle n’occupe pas de poste en particulier (alors qu'il y a des avocates, des ouvrières, des “Prix Nobel”, etc.), elle est en quelque sorte l'âme de l'organisation (ou sa bonne fée, si vous préférez).
Face à de nouvelles difficultés, elle n'hésite pas à demander conseil. D’une manière générale, elle est appréciée de tous et ne cherche pas à imposer ses idées.
Greta Gerwig, la réalisatrice du film, n’a pas souhaité représenter Barbie comme une poupée vide et écervelée, bien au contraire !
A de nombreuses occasions, Barbie démontre une grande intelligence, notamment lorsqu’elle débarque dans le “vrai monde”.
En effet, même si elle ne comprend pas immédiatement les codes déroutants de cet endroit aux antipodes de son propre univers, elle est capable de sentir la toxicité des personnes qui la regardent et la jugent.
Lorsque les dirigeants de Mattel cherchent à la remettre en boîte, elle saisit immédiatement le danger et prend la fuite.
Barbie se révèle une fine stratège quand il s’agit de mettre un terme au coup d’état patriarcal conduit par les Ken.
Plutôt que d’affronter directement la horde des masculinistes en plastique, elle trouve le moyen de retourner la situation en multipliant les alliances avec les autres Barbie et en introduisant le doute chez l’adversaire.
Elle parvient à la résolution de la plus grande crise de Barbieland sans la moindre violence.
A la lumière de ces trois qualités, je pense que Barbie symbolise le Candidate Persona d’une DRH de haut niveau… au sein d’une petite organisation (PME voire ETI au maximum).
En tant que leader bienveillant, elle se soucie réellement du bien-être de son équipe et est essentielle pour créer un environnement de travail positif et productif.
Elle sait gérer des situations délicates et complexes, que ce soit des conflits entre employés, tout en faisant preuve de compassion.
Elle a également un rôle stratégique, notamment en matière de planification de la main-d'œuvre, de développement organisationnel et de gestion du changement.
Saurait-elle faire preuve des mêmes qualités en tant que DRH au sein d’un grand groupe ? Peut-être, mais notons qu’elle fait parfois preuve d’une certaine naïveté vis-à-vis du monde dit corporate, ou, pour le moins, une incompréhension de ses codes.
Pas sûr que les inévitables jeux politiques inhérents aux grandes structures lui conviennent !
Contrairement à Barbie, Robert Oppenheimer a vraiment existé, ses actes ont profondément changé l’humanité et le sujet majeur de sa vie n’est pas très… rose (la mise au point de la première bombe atomique pour ceux qui n’auraient vraiment pas suivi).
Que retenir de la représentation de ce génie américain telle qu’imaginée par le non moins génial Christopher Nolan ?
Cela ne saute peut-être pas aux yeux immédiatement, mais le célèbre new-yorkais au chapeau Porkpie fait preuve d’un remarquable aplomb même face à des gens intimidants, comme le Général Leslie Groves, interprété par Matt Damon.
En effet, lorsque ce dernier évoque pour la première fois le projet Manhattan, dans une sorte d’entretien d’embauche masqué, Oppenheimer n’hésite pas à renverser la situation : il ne se contente pas de détailler sans sourciller ses qualités objectives (connaissance avancée de la science, des enjeux, des personnes à mobiliser), il explique brillamment qu’il va “réfléchir” à la proposition d’embauche que Groves n’a jamais directement formulée. Du grand art !
Attention néanmoins à l’excès de confiance, qui provoquera plus tard une remarque particulièrement blessante à l’égard de Lewis Strauss (joué par l’excellent Robert Downey Jr) qui sera en partie à l’origine de sa chute.
Au fond, qu’est-ce qu’un directeur de projet ?
Quelqu’un capable de mobiliser des ressources humaines, matérielles et financières pour atteindre les objectifs d'un projet. Et Robert Oppenheimer est un véritable maître en la matière.
Finalement, il réussira à décrocher près de 2 milliards de dollars (soit l’équivalent de 30 milliards de dollars de nos jours !) tout en convaincant les plus grands esprits de son temps à rejoindre l’aventure.
Notons qu’il est novateur lorsqu’il décide d’assurer un certain équilibre professionnel et personnel en faisant venir les familles des scientifiques sur le site de Los Alamos.
Cerise sur le gâteau, il obtient même de faire travailler les épouses de tous ces brillants messieurs à des tâches comme la dactylographie ou la comptabilité.
Certes, la portée féministe de cette information fait pâle figure en regard du message porté par “Barbie” mais cette décision a permis à certaines femmes (notamment Lilli Hornig que l’on peut voir sous les traits de l’actrice Olivia Thirlby) de participer effectivement au projet scientifique en qualité … de scientifique !
Julius Robert Oppenheimer est issu de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Diplômé de Harvard et de Göttingen, il est ami (et considéré comme un égal, même s’il n’a pas eu de prix Nobel) avec les plus grands savants de son temps : Einstein bien sûr, mais aussi Enrico Fermi ou encore Niels Bohr.
Avec un tel CV, on pourrait penser qu’il n’ait guère d’égard pour les simples mortels comme nous.
Or c’est tout l’inverse : à l’écran comme dans sa véritable vie, Oppenheimer a toujours été considéré comme une personne simple, humble (même en connaissant sa valeur) et réellement accessible.
On le voit quand il explique avec simplicité les principes de la mécanique quantique à celle qui deviendra sa femme Kitty (jouée par l’excellente Emily Blunt) ou encore quand il se préoccupe personnellement du bien-être des ouvriers sur le site de déclenchement de Trinity, la première bombe atomique de l’histoire.
En somme, il peut parler à la personne la plus importante de son temps comme au simple “janitor” avec la même aisance.
Il s’agit d’une qualité essentielle d’un excellent chef de projet.
Toutes les qualités combinées, décrites plus haut, font de Robert Oppenheimer un leader de projet incomparable, capable de mener des initiatives d'une envergure incomparable tout en restant profondément humain.
Pourtant, comme le dit perfidement le mathématicien Edward Teller (père de la bombe H), Oppenheimer serait “tout bonnement incapable de diriger un stand à hot dog” ( ce qu'il reconnaît d'ailleurs bien volontiers).
En effet, ce type de profil a besoin d’un projet à sa (dé)mesure. Il s’ennuierait profondément sans une stimulation intellectuelle constante.
À ce titre, son poste serait plutôt à envisager au sein d’une grande multinationale, dotée de moyens considérables, plutôt qu’au sein d’une petite société.
Barbie et Oppenheimer possèdent tous deux des qualités exceptionnelles, que l'on trouve rarement dans la vraie vie (a fortiori pour Barbie...)
Or, tout l'intérêt d'un travail sur les personas consiste à faire preuve d'un certain réalisme quand on réfléchit à un profil pour un poste.
À ce titre, j'aimerais évoquer deux personnages qui sont finalement plus intéressants, d'un point de vue RH, que les héros de nos deux blockbusters.
Selon moi, Gloria est le personnage le plus important du film "Barbie", à la fois dans le narratif et dans la symbolique.
Incarner par l'impeccable America Ferrara, Gloria est une mère de famille d'une quarantaine d'années, employée chez Mattel (et a priori la seule femme) et traversant un petit épisode dépressif, marquée par des "pensées morbides" qui iront jusqu'à affecter Barbie elle-même.
Elle joue un rôle central en protégeant Barbie contre les velléités iniques de sa propre entreprise (Mattel) et en prononçant son désormais mythique monologue "It is literally impossible to be a woman."
À ce titre, elle est beaucoup plus crédible en tant que figure de l'empowerment féminin, y compris du point de vue professionnel, que ne l'est la trop-parfaite Barbie.
Le personnage interprété par Robert Downey Jr. a clairement le mauvais rôle dans le film de Christopher Nolan.
Égocentrique, il s'imagine que les deux plus grands cerveaux de son époque complotent contre lui.
Vindicatif, il organise en sous-main une sordide enquête pour traîner dans la boue le père de la bombe A.
Pourtant, en dépit de ces caractéristiques disons, "humaines... trop humaines", Lewis Strauss est un véritable bourreau de travail et mérite indubitablement une vraie considération.
Lors de sa première rencontre avec Oppenheimer, il se présente comme un "vendeur de chaussures" (ce qu'il fut réellement) et souligne qu'il n'a aucun diplôme universitaire majeur.
Disons-le clairement, il incarne parfaitement la personne qui a réussi à gravir les échelons sans bénéficier d'un milieu familial favorisé ni d'une intelligence exceptionnelle (contrairement à Oppenheimer).
Dans la vraie vie, vous aurez infiniment plus de chances de croiser un Lewis Strauss qu'un Oppenheimer lors d'un entretien d'embauche.
Sachez le rassurer sur ses compétences et il sera sans aucun doute un immense atout pour votre organisation !