La série télévisée britannique Black Mirror apparue sur nos écrans en 2011 a fait beaucoup de bruit par son approche originale (chaque épisode est une histoire complète) et sa vision d'un monde futuriste angoissant où la technologie a pris le contrôle de nos vies.
L’excellent épisode 1 de la saison 3 - désormais diffusée sur Netflix - décrit un avenir effrayant pour notre société accro aux réseaux sociaux. Le magazine en ligne Vox le décrit comme "un cauchemar de Social Media dans un rêve aux couleurs pastels"
En réalité, il y a peu de chances que cette prophétie se révèle juste un jour. Voici pourquoi.
L’histoire se passe dans un futur proche. Une jeune femme, prénommée Lacie, mène sa vie dans une société où règne une dictature douce instaurée par les médias sociaux. Les rapports humains (de la simple poignée de main aux conflits interpersonnels) sont conditionnés par un système d’évaluation comparable à celui de Yelp ou eBay.
Tous les personnages de l’épisode possèdent un super smartphone (avec interface occulaire), capable d'enregistrer et de diffuser des moments de leur propre vie et de prendre connaissance de la vie des autres.
Le téléphone identifie chaque personne croisée et offre à chaque interaction la possibilité de noter l'échange (sur un barème de 1 à 5). Selon la qualité de son comportement en société ou de ses publications quotidiennes, la note individuelle va varier. La note attachée à une personne apparait sur son écran lorsqu'on la croise, indiquant immédiatemment son classement dans la hiérarchie sociale.
Le scénario de l'épisode intitulé « Nosedive » est intéressant et terrifiant, mais reste hautement improbable dans une société démocratique.Revenons un instant sur Lacie. Elle vit avec son frère (un gamer) dans une sorte d’enfer digital. Elle cherche à s’en sortir en élevant sa note « de société ».
Concrètement, pour acquérir l’appartement de ses rêves, Lacie doit augmenter sa note de 4.2 à plus de 4.5. En cherchant à tout prix à obtenir cette note, elle est prête à tout. Et c'est là que ses ennuis vont commencer.
Peut-on imaginer un contrat social fondé sur une tel système de notation ?
Une enquête Nielsen de 2013 a montré que 80% des acheteurs en ligne disent prendre en compte les avis et 68 % font confiance aux opinions des consommateurs.
Pourtant, une polémique sur les notes de des "nouvelles aventures d'Aladin" sur AlloCiné a récemment mis en cause en profondeur le système de notation du site.
En juin 2016, une étude menée par l’université du Colorado a prouvé que le système de notation par étoiles d’Amazon ne reflétait pas la qualité objective des objets en vente.
A mesure que ces "affaires" sortent, le public a tendance à se méfier.
Dans l’épisode de Black Mirror, le système de notation est accepté par 100% de la population.
Or, même dans un monde comme le nôtre, beaucoup moins digitalement intégré que celui de « Nosedive », les gens commencent à se méfier des notes. On parle même de les supprimer à l'école !
Ajoutons qu'un système de notation peut être facilement piratable (bots, etc.)
Même réduite au e-commerce, cette technique fonctionne difficilement. Elle a donc peu de chances de s’imposer dans une société toute entière.
Dans l’épisode de Black Mirror, Lacie rencontre une autre femme. Elle apprend son histoire qui la bouleverse. Cette histoire lui explique que le plongeon (Nosedive) dans l’inconnu est peut être préférable à une vie trop parfaitement construite.
Plus qu’une note, ce qui cimente les internautes est un contenu authentique : Une histoire, une rencontre, un échange constructif.
On comprend alors que la relation aux autres est davantage liée à un récit que l’on construit, qu'à une note arbitrairement donnée.
Pour construire une relation, il est donc essentiel de bâtir un storytelling efficace, basé sur de l’authenticité et un rejet du système de notation
Au fil de ses déconvenues, Lacie est confrontée à une dégradation de sa note « sociétale » qui la dévalue dans son statut et même physiquement.
Cela ne pourrait pas arriver à moins de sortir du système démocratique. Et même un gouvernement autoritaire comme celui de la Chine a tenté de mettre un tel système en place ... avant de reculer face à la levée de boucliers de ses habitants !
L’histoire de Black Mirror suppose que nous soyons tous esclaves d’une technologie ultra-intrusive. Certains craignent que ce soit déjà le cas.
Mais ce n’est pas la réalité. Nous passons certes beaucoup de temps sur des outils mobiles et connectés, mais c’est surtout pour échanger avec d’autres humains.
Le digital n’est qu’un outil, pas un modèle de société.
Il est utile de s'en rappeler à titre individuel mais également en tant qu'entreprise. Pour être visible par tout le monde, il faut avant tout penser à travailler le fond, l'écrit, l'histoire, plutôt que de se reposer trop facilement sur des avancées technologiques.